Harcèlement moral : Mécanique infernale 

harcèlement moral ag2r 2025

Selon le bureau international du travail, la France occupe le triste record européen de la violence psychologique au travail et du malaise des salariés. 

Si des conflits entre individus existent dans l’entreprise, ils n’ont pas vocation à perdurer. Si tel est le cas, on peut passer d’une situation conflictuelle à une situation de harcèlement. 

Le harcèlement moral revêt de multiples visages. Il peut être individuel, collectif, descendant lorsqu’il est le fait d’un responsable hiérarchique ou au contraire ascendant. Il peut aussi être horizontal entre collègues. Quel que soit sa forme, il est destructeur. 

Tout sauf occasionnel, le harcèlement est évolutif, insidieux et s’amplifie avec le temps. Il faut le combattre à la première alerte pour revenir à des relations de travail acceptables et supportables. 

Contrairement aux idées reçues, les victimes ne sont pas toujours réservées ou timides. C’est aussi parce que les personnes s’opposent, sont plus compétentes, que la mécanique du harcèlement se met en place car l’harceleur se sent en danger. 

L’employeur est rarement directement à l’initiative du harcèlement. Pour autant, il n’est pas exempt de responsabilité. D’abord parce que ce sont les organisations qui permettent l’émergence du harcèlement. On ne nait pas harceleur, on le devient. Autre responsabilité qui cette fois lui incombe directement, c’est le traitement du problème. Le harcèlement est une qualification juridique, ce qui tétanise l’employeur qui préfère ne rien voir. En n’agissant pas, le phénomène prend de l’ampleur. Des solutions d’évitement se mettent alors en place : arrêt maladie, mobilité voire exfiltration de l’entreprise. Ce faisant, si l’entreprise ne cautionne pas les agissements de l’harceleur, cela lui donne un sentiment d’impunité. 

Ces solutions d’évitement sont d’autant plus confortables que l’interprétation courante est que la victime est responsable du harcèlement parce qu’elle a un caractère difficile, des traits de personnalité particuliers… Quelque part, « Elle l’a bien cherché ». 

Cette conclusion est la résultante des manœuvres mises en place par l’harceleur pour rassembler les membres du groupe et obtenir leur soutien, non parce qu’ils ont perdu le sens moral, mais parce que leur sens critique s’est émoussé face aux situations répétitives considérées au fil du temps comme la norme. Parfois aussi pour éviter de devenir soi-même une victime. 

C’est grâce à des techniques de marginalisation et d’isolement que la victime est peu à peu disqualifiée. L’harceleur fédère autour de lui avec des sous-entendus, des allusions malveillantes mais non directes, des propos identifiés par le groupe comme de l’humour mais que la victime perçoit comme une agression car elle a conscience de l’objectif… Dès lors, il n’hésitera pas à piéger la victime en pointant des anomalies de travail qu’il aura parfois lui-même mis en place par des consignes floues prétextant que c’est la victime qui ne comprend jamais rien et qui nuit au travail des autres collègues. 

A ce stade, la victime ne sait plus à qui s’adresser et comment se faire entendre auprès d’un collectif devenu indifférent, voir hostile. 

Ce qu’il y a de terrible dans le harcèlement moral, c’est qu’il abîme pas les corps, il agresse l’âme, l’équilibre interne, le sens de soi-même. Son invisibilité physique rend les autres peu réceptifs. Pourtant il détruit durablement la personne qui en est victime. 

Le harcèlement se matérialise sous différentes formes (hiérarchique, collective… qui se mixent) et avec des techniques multiples. Le management par la terreur en est une qui perdure encore. L’objectif est d’opposer les salariés, de les mettre en compétition non pour une émulation, mais pour les diviser et ainsi conserver un pouvoir qui pourrait être mis à mal faute de compétences réelles. 

Mais le harcèlement moral est souvent plus subtil et plus pervers. L’agresseur peut privilégier le registre de la communication non verbale. Cette communication indirecte permet de ne pas nommer le conflit et de mettre la victime en état d’hyper vigilance. En perpétuelle alerte, ce qui engendre un épuisement psychique, elle cherche en permanence à anticiper pour éviter les brimades. 

La victime perd toute spontanéité et libre arbitre. Cette dépendance peut même amener le salarié harcelé à minimiser voire à justifier ce qu’on lui reproche, persuadé d’être fautif de ne pas avoir suffisamment anticipé. 

Bien heureusement, le comportement de chacun n’est pas systématiquement synonyme de harcèlement. Mais la répétition de soupirs excédés, de haussements d’épaule, de regards méprisants ou encore d’yeux levés au ciel… à l’encontre de la même personne peut être une alerte.  

Même constat d’alerte pour les agressions verbales qui, si elles existent, sont plus difficilement détectables. En effet, elles sont rarement directes et passent plus par des sous-entendus et des allusions déguisées. C’est l’aspect répétitif et insistant des « coups » portés, plus que leur intensité, qui amène la victime à douter de sa propre perception des choses. Le doute amène la perte de confiance ce qui a pour conséquence d’être de plus en plus incapable de se défendre. 

Ce faisant, la victime adopte un comportement craintif (qu’ai-je encore fait ? De quoi suis-je coupable ?)) et finit par craquer car travail et intégrité personnelle sont régulièrement contestés. Le salarié harcelé s’installe alors dans une attitude d’évitement pour ne plus être pris en défaut devant les collègues. Son énergie est exclusivement destinée à prévenir les réprimandes tant celles-ci lui sont devenues invivables. Si la victime se révolte, ce sera maladroitement, certainement avec agressivité mais de toute façon l’harceleur l’aura suffisamment isolé en cassant ses alliances avec ses collègues pour que cette soudaine rébellion choque et confirme aux yeux de tous que la victime est malade, déprimée… Et que c’est elle la coupable qui doit partir pour apaiser les tensions. 

Il n’y a pas de fatalité pour que les conflits professionnels dégénèrent en harcèlement moral surtout si la problématique est prise rapidement et de façon volontaire. Le médecin du travail joue un rôle central mais ne peut intervenir que s’il est alerté. D’autres acteurs (Organisations syndicales, managers, collègues…) ont eux aussi un rôle majeur pour stopper ces agissements intolérables. 

Les RH doivent aussi être alerté, mais toujours en ayant sollicité un autre acteur. D’abord parce qu’il n’existe pas de harcèlement sans que l’organisation de travail le permette. La recherche de l’excellence, de la satisfaction client au détriment des salariés, la pression faite sur le management… sont de la responsabilité de l’employeur. De plus, les RH ont le réflexe de particulariser la situation avec comme réponse une médicalisation individuelle centrée sur un traitement psychologique. Ce faisant, la compréhension des mécanismes organisationnels qui se sont mis en place afin de les contrer ne sont pas étudier au prétexte que l’urgence est d’intervenir sur les effets de la violence pour y mettre fin. 

Conclusion :  

Contrairement aux idées reçues, Il n’y a pas un profil type pour être harcelé. Une réorganisation, un changement hiérarchique, une mobilité peuvent être le terreau d’une situation qui dégénère en harcèlement moral. 

Un salarié harcelé n’est jamais coupable de ce qu’il subit et n’a jamais provoqué de situations justifiant la souffrance qu’il endure. 

Seule la dénonciation rapide permet de trouver des solutions acceptables. Plus tardive est l’intervention, plus un dénouement satisfaisant est compliqué. 

Que vous soyez victime ou témoin, il est impératif de saisir les acteurs qui pourront intervenir et solutionner : réfèrent harcèlement, médecin du travail, organisation syndicale, cellule psychologique, RH. 

sociomètre des risques psycho sociaux CGT